Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Investigation Financière Economique et Boursière
Investigation Financière Economique et Boursière
Publicité
Derniers commentaires
Archives
6 octobre 2009

Le rapport d'enquête interne de la SEC sur ses responsabilités dans la non-découverte de la fraude Madoff

La SEC (Securities and Exchange Commission) a publié le 31 août 2009 un rapport de 477 pages de son enquête interne (par l'Inspection Générale, OIG Office of Inspector General) menée pour comprendre son échec à avoir découvert le schéma de Ponzi de Bernard Madoff.

Avant ce rapport on savait que la SEC avait été alertée de nombreuses fois il y a déjà plusieurs années sur les activités estimées douteuses de Bernard Madoff.

Après la révélation du scandale et des dizaines de milliards de dollars partis en fumée, le chiffre exact ne sera peut-être jamais connu précisément, la SEC a été contrainte d'une auto-critique.

J'avais rédigé un article le 13 janvier 2009 sur le même thème, intitulé Madoff : les veines démarches de Harry Markopolos à la SEC. http://olivierfluke.canalblog.com/archives/2009/01/13/index.html

L'enquête est particulièrement bien documentée et permet d'illustrer à tel point la SEC a fait preuve selon moi d'incompétence, de désinvolture, de manque de rigueur ou de persévérance.

Nous sommes en face d'un problème récurrent qui ne concerne pas forcément que le monde financier : où s'arrêter lorsqu'on ne comprend pas ? Se contente-t-on de remplir les cases du questionnaire, ce qui permet de rentrer chez soi le sentiment du devoir accompli alors que le problème soulevé n'a pas été résolu ? Dans le monde de la finance cela peut se traduire par des milliards perdus. Dans le cas de la catastrophe de l'AF 447, l'absence d'optimisation dans la fourniture de données météo a pu participer à la survenance de la tragédie. Il manque du bon sens dans tout cela et de la conscience professionnelle.

En tant qu'ancien auditeur d'un cabinet de commissariat aux comptes, plusieurs faits m'ont particulièrement frappé.

1)

Le 3 mai 2005, l'un des enquêteurs, Peter Lamore (Enquêteur à la conformité des Instruments Financiers, Securities Compliance Examiner du Bureau Régional de New York NERO), dans un mail adressé à un collègue, John Nee (assistant du Directeur Régional du Bureau Régional de New York), l'informe que Barclays pourrait être un broker principal pour certains des fonds nourriciers.

Dans une lettre datée du même jour, Nee s'adresse directement à Barclays pour savoir s'ils faisaient des opérations avec Madoff.

Le 16 mai 2005, Barclays répond que BMIS (Bernard L. Madoff Investment Securities LLC) a récemment (16 février 2005) ouvert un compte à la Barclays mais qu'il n'y a aucune transaction sur le compte au cours de la période du 1er au 31 mars 2005 comme demandé. La lettre affirme néanmoins qu'une relation de trading existe entre une entité affiliée à Madoff et la filiale britannique Barclays Capital Securities Ltd.

Confronté à cette réponse, Madoff aurait admis exécuter des transactions pour des hedge funds. Du coup Nee aurait abandonné l'idée d'interroger la filiale britannique de Barclays.

L'idée d'une confirmation externe des propos de Madoff a alors été abandonnée, bien que la première réponse obtenue ait contredit Madoff !

Soi-disant que contacter une entité extérieure au territoire américain était trop compliqué !

Les transactions fictives de Madoff portant selon les relevés clients sur des valeurs du S&P 500 et des Bons du trésor américain, on peut imaginer sans peine que le résultat de l'interrogation de la filiale de Barclays au Royaume-Uni soumise au régulateur britannique aurait été identique : rien de rien.

Pour sa persévérance et son travail efficace, Peter Lamorre a bénéficié de deux lettres de promotion datées du 13 septembre 2006, l'une par le chef de la branche de New York, l'autre par l'assistant du Directeur Régional de l'OCIE (Office of Compliance Inspections and Examinations). Ces deux lettres mettent en avant le travail fourni dans l'enquête sur Madoff.

Résultat des course, Peter Lamorre est promu Staff Accountant (poste actuel) avec effet le 12 novembre 2006.

C'est la fable décryptée de Ceux qui l'ouvrent finissent au pilori et ceux qui ne voient rien terminent promus.

Si La Fontaine avait vécu un jour de plus il l'aurait écrite celle-là.

2)

Dans le deuxième examen mené en parallèle (par OCIE) à la SEC, un projet de lettre avait été rédigé en décembre 2003 pour obtenir des données dans une procédure de confirmation externe auprès de la NASD (National Association of Securities Dealers).

La lettre n'a finalement pas été envoyée, au prétexte que les informations obtenues prendraient trop de temps à traiter. Les protagonistes de ce fiasco bottent en touche : Eric Swanson (celui-là même qui va fricoter avec la nièce de Madoff, Shana), Jacqueline Wood (on touche du bois), Mark Donohue, Lori Richards.

3)

Au cours de la deuxième enquête par l'OCIE (Enforcement Staff) initiée suite à la nouvelle plainte d'Harry Markopolos fin 2005, la NASD a été interrogée et leur réponse obtenue en mai 2006 a montré qu'aucune position d'options n'existait aux dates requises. Pourtant, aucune action supplémentaire n'a été entreprise. Un projet de courrier avait également été préparé courant 2006 pour interroger des contreparties européennes mais n'a finalement pas été envoyé.

Effarant !

Les conclusions du rapport sont clémentes pour la SEC, mais pouvait-il en être autrement d'un rapport effectué par la SEC sur la SEC ?

Aucune preuve n'aurait été trouvée qu'un membre de la SEC qui a travaillé sur les enquêtes menées par la SEC sur Madoff n'ait eu de lien financier ou autre avec Madoff ou sa famille qui ait pu influencer la conduite des investigations. Il en est ainsi tout particulièrement de l'ancien assistant du Directeur Eric Swanson dont la relation "romantique" avec la propre nièce de Madoff a démarré en pleine enquête sur Madoff. Aucun officiel de la SEC n'aurait également tenté d'influencer les enquêtes de la SEC.

La SEC reconnaît néanmoins qu'elle a reçu de multiples plaintes, au nombre de 6, et que les 3 examens et 2 enquêtes menées ne l'ont pas été de manière complète et compétente.

Au final, les occasions de démasquer Madoff ont été nombreuses :

Les 6 plaintes et les 4 investigations par la SEC

Ce qui suit permet de cadrer les enquêtes menées par la SEC et les différentes plaintes qui leur ont été soumises, ce que la lecture initiale du rapport de la SEC ne permet pas facilement de faire.

1) 1992 plainte issue de clients d'Avellino & Bienes, une société d'investissement associée de Madoff :

Enquête n°1 : un associé de Madoff est suspecté de schéma de Ponzi ; aucune recherche sur les opérations de Madoff, alors que Madoff avait le contrôle total des fonds des clients de Avellino & Bienes ; équipe inexpérimentée ; pas de confirmation externe menée.

2) Mai 2000, mars 2001 et octobre 2005, plainte d'Harry Markopolos :

Décision par un certain Grant Ward du Bureau de Boston (a depuis quitté la SEC, certaines de ses déclarations sont jugées suspectes) de ne pas donner suite à la soumission de 2000 ; la soumission de 2001 a été transmise du Bureau de Boston à NERO (Bureau Régional du Nord-Est) qui en un jour décide de ne pas donner suite. Deux articles de presse sortent sur le sujet, dont un de mai 2001 du Barron par Ervin Arvedlund pour lequel la SEC était au courant. Pourtant, le classement sans suite de la soumission de 2001 n'est pas reconsidéré.

La troisième soumission donne lieu à une enquête (Enquête n°4 chronologiquement) par NERO (Enforcement Staff) qui se termine en août 2006 (fin officielle en janvier 2008, malgré les mensonges de Madoff découverts par les enquêteurs sur son business de conseil) après que Madoff ait accepté de s'enregistrer en tant que Conseiller d'Investissement. Les procédures de confirmation externe auprès du NASD ou de contreparties européennes (voir l'exemple 3 ci-dessus) envisagées n'ont pas été correctement mises en place.

3) Mai 2003, plainte d'un manager de Hedge Fund suite à des dues diligences effectuées sur des fonds nourriciers de Madoff :

L'examen (enquête n°2) par OCIE n'a pas été staffé et conduit de manière adéquate ; délai dans le début de l'examen (décembre) ; des confirmations externes prévues dans le Mémorandum de Planning non effectuées ; projet de lettre au NASD (National Association of Securities Dealers) rédigé mais non envoyé ; enquête en mode pause en avril 2004 puis finalement arrêtée, en fait l'enquête n'a jamais été achevée !

4) Avril 2004, série de mails internes d'un employé de NERO (Bureau Régional du Nord-Est) suite à un examen de routine du fond Renaissance :

Examen (enquête n°3) par NERO, confirmation externe adressé à la Barclays en mai 2005 mais non creusée ; en mai 2005 NERO et OCIE comprennent qu'ils enquêtent tous deux sur Madoff. Enquête arrêtée sans l'avoir terminé, rapport final en septembre 2005 qui n'informe pas sur les suspens.

5) Octobre 2005, par un informateur anonyme ancien investisseur dans Madoff. :

Le Bureau Internet (OIE Office of Internet Enforcement) de la SEC a reçu la plainte, mais les enquêteurs de NERO ne l'ont pas reçue.

6) Décembre 2006, par un citoyen concerné anonyme, complément en mars 2008 :

Les enquêteurs de NERO (enquête n°5) se sont contentés de la réponse du conseil de Madoff qui affirmait que Madoff n'avait jamais géré de l'argent pour le compte de cette personne, ce qui s'avère erroné.

La SEC considère que dans tous les cas la fraude aurait dû être découverte.

Enfin, les allégations de conflits d'intérêt concernant Eric Swanson (OCIE) vis-à-vis de Shana Madoff, nièce de Bernie. Le premier contact entre les deux futurs tourtereaux a lieu en avril 2003, à l'occasion de l'enquête de l'OCIE sur Madoff. Ils se seraient rencontrés pour la première fois en octobre 2003 (cela laisse le temps de saliver). Sauf que dans le même temps (cela permet de faire patienter la salive) le Swanson s'installe vers mars ou avril 2005 avec une Jane Doe, sa fiancée. Ils devaient même se marier en octobre 2005, sauf que c'est parti en vrille et que le couple se sépare en novembre de la même année. La romance avec Shana aurait alors démarré début 2006, peu de temps après (il s'est vite refait le Swanson). En juillet 2006, Swanson quitte la SEC. Swanson et Shana se fiancent en décembre 2006 et se marient en septembre 2007.

Conclusions de la SEC ? Pas d'influence sur les enquêtes menées sur Madoff, dont celle de Swanson qui s'est terminée en juin 2005. Le fripon aurait même été en affaires avec plusieurs femmes en même temps, mais pas Shana (pas avant mars 2006), qui deviendra sa femme. Elle lui plaisait pas un peu dès le début non ? Eric Swanson a-t-il fait preuve de persévérance et d'un professionnalisme adéquat ? Apparemment non d'après la SEC, et pourtant Eric Swanson n'est pas mis en cause dans les conclusions de la SEC.

Moralité ?

Très bien, il est difficile de faire la preuve de l'influence d'un conflit d'intérêt ? Mais qu'au moins lorsque des preuves sont trouvées les sanctions deviennent exemplaires, afin qu'un effet dissuasif existe. Au regard du nombre exponentiel de conflits d'intérêts existants (conseils d'administration, contrats de conseils en tous genres, gestion de fonds de clients par les banques, etc ...), je préconise le durcissement des sanctions dans le cas où des conflits d'intérêts latents deviennent réalisés.

En France, à part l'article 432-12 du Code Pénal qui définit la prise illégale d'intérêts (punie de 5 ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende) et qui concerne le service public, la législation semble peu bavarde sur le sujet. Peut-être un futur article sur ce thème : conflits d'intérêt et législations internationales.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité