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Investigation Financière Economique et Boursière
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6 février 2012

Pour ceux qui veulent creuser le rapport de la Cour des Comptes sur le nucléaire : concepts de coûts, loyer économique, ...

Dans un premier article de revue du rapport de la Cour des Comptes sur la filière nucléaire, j'incitais à une très grande prudence dans l'interprétation des chiffres de coûts publiés, en raison notamment des nombreux concepts différents maniés.

http://investigationfin.canalblog.com/archives/2012/02/01/23414155.html

Dans cet article :

I. Les différents concepts de coût dans le rapport de la Cour des Comptes (lecture difficile !)
II Une recommandation de la CRE rectifiant le résultat à la baisse de près de 7 % a-t-elle été prise en considération par la Cour des comptes ? Non
III Recoupement avec les travaux d'évaluation économique de la filière nucléaire réalisés en 2000

rapport de la Cour des Comptes

http://www.ccomptes.fr/fr/CC/documents/RPT/Rapport_thematique_filiere_electronucleaire.pdf

I. Les différents concepts de coût dans le rapport de la Cour des Comptes

Le tableau principal qui compare les résultats de quatre types d'évaluation du coût de production de l'électricité nucléaire en 2010 figure en page 279 :

Rapport CC page 279

Une comparaison plus détaillée figure en page 335, en annexe 15 :

Rapport CC page 335

Le résultat de la méthode CCE Cour des Comptes est celui retenu par les médias.
Le résultat de la méthode Champsaur (rapport de mars 2011) est celui qui a été repris "par la CRE dans sa délibération du 5 mai 2011 portant avis sur le projet d'arrêté fixant le prix de l'ANREH à 42 €/MWh au 1er janvier 2012" page 407
La méthode C3P est conçue pour calculer le coût de production sur l'ensemble du parc et permettre son renouvellement.

La Commission de Régulation de l'Electricité résume assez simplement ces 3 méthodes :

- la méthode CCE reflète ce que consentirait à payer un fournisseur à EDF pour louer ses centrales nucléaires historiques au lieu de les reconstruire, incluant leur renouvellement à échéance ; vision à un instant donné du coût moyen global du parc
- la méthode C3P (proposée par EDF) reflète l'impact de l'érosion monétaire sur une structure de coût comptable et implique un renouvellement du parc
- la méthode Champsaur liée à la fixation du prix de l'ARENH reflète le coût complet du parc nucléaire français, déjà partiellement amorti, hors prise en considération de son renouvellement. Il y a donc distinction entre le prix de l'ANREH et celui pour les consommateurs finals, qui pourra prendre en compte progressivement le renouvellement du parc.

Parmi les 3 méthodes identifiées (approche Champsaur, coût courant économique CCE , coût comptable complet de production C3P) seule la troisième couvre toutes les sources de production d'électricité.

Et comme le principal chiffre mis en avant et retenu par les médias, de 49,5 €/MWh, est calculé selon la méthode du coût courant économique ....

La CRE insiste sur le fait que la méthode CCE ne peut pas et ne doit pas "être rapprochée de l'exercice de fixation du tarif réglementé de vente de l'électricité" !

Ce que de nombreux médias et hommes politiques n'ont pourtant pas hésité à faire ....

L'annexe 15 (page 331) Différentes méthodes de calcul du coût global de production de l'électricité nucléaire et la réponse du Président de la CRE (page 407) permettent d'aller plus loin dans la compréhension des différentes méthodes.

Les méthodes Champsaur et CCE utilisent un "loyer économique du parc qui se substitue aux annuités d'amortissement et aux charges financières supportées par l'exploitant."

Différence entre méthode Champsaur et CCE :
- Champsaur : loyer sur la base de la valeur nette comptable actuelle sur la durée de fonctionnement résiduelle, sans les intérêts intercalaires passés ; le coût annuel d'utilisation de l'actif de production est donné sur la période restante (2011 - 2025), ajusté chaque année par l'inflation.
- CCE : loyer calculé sur la valeur initiale incluant les intérêts intercalaires ; coût d'utilisation de l'actif de production constant dans le temps (à l'inflation près) sur la durée de fonctionnement totale du parc.

Démarche C3P : la valeur nette comptable du parc est réévaluée par l'inflation et la réintégration des intérêts intercalaires. Le coût du capital serait décroissant dans le temps en monnaie constante.

La Cour écrit "En résumé, les deux premières méthodes tiennent compte du passé et pas la troisième".

Les méthodes C3P et CCE neutraliseraient l'inflation dans la valeur du parc, mais les 3 méthodes retiendraient des taux de rémunération des fonds investis tenant compte de l'inflation.

La méthode CCE retenue par la Cour intègre la remarque de la Commission de Régulation de l'Electricité (CRE) selon laquelle elle ne répond pas aux impératifs légaux de fixation des tarifs de l'électricité; qui consistent à respecter le principe de couverture des coûts réels supportés chaque année par l'opérateur. La méthode CCE intègre une part de renouvellement du parc historique, sans prise en compte de l'évolution technologique (EPR par exemple ?).

La Cour des Comptes reconnaît que la méthode CCE présente notamment la faiblesse d'une forte sensibilité au taux de rémunération/amortissement des fonds propres et d'emprunts ayant servi à la constitution des actifs (6 % annuité  6,65 MdE 8 % 8,39 MdE) mais concède qu'elle n'est pas en mesure de valider le niveau de 7,8 % retenu dans le cadre des méthodes CCE et C3P, pas davantage que celui de 8,4 % utilisé dans le rapport Champsaur.

Bref, c'est bien de critiquer certains devis de démantèlement d'EDF sur le sujet des aléas et incertitudes (page 98 99), mais cela aurait été bien que la Cour présente son chiffre phare de 49,5 €/MWh en indiquant avec quelle incertitude, voire une fourchette de coût.

II Une recommandation de la CRE rectifiant le résultat à la baisse de près de 7 % a-t-elle été prise en considération par la Cour des comptes ? Non

A noter que la Commission de Régulation de l'Electricité recommande de modifier le montant de l'investissement pris en compte dans le calcul du loyer économique en actualisant les charges futures de 22,2 MdE2010 (18,4 pour le démantèlement des 58 réacteurs, 3,8 MdE pour les derniers coeurs) à 3 % (taux défini par la loi) sur 40 ans, afin de ne pas surévaluer le capital initialement investi. L'impact de cette correction est une baisse du loyer économique de 1,4 MdE2010, soit 3,3 €/MWh 2010.

Une diminution de 6,7 % du résultat final de 49,5 €/MWh 2010 n'est pas négligeable !

Difficile de comprendre à la lecture du corps du rapport si oui ou non la Cour des comptes a tenu compte de la remarque de la CRE.

Il faut tenter de saisir comment le loyer économique a été calculé.

Le ratios des loyers économiques CCE d'EDF et de la Cour des Comptes divisés par le taux de rémunération du capital de 7,8 % donnent respectivement 111,8 MdE et 101,0 MdE.
source : tableau de la page 279

L'écart, 10,8 MdE est proche de l'écart de 10,2 MdE sur les intérêts intercalaires (12,78 MdE au lieu de 23 MdE pour EDF) qui explique l'écart sur la méthode CCE entre EDF et la Cour des Comptes.

Surtout, 111,8 MdE est très proche des coûts d'investissement retenus par la Cour des Comptes dans le coût de production pour EDF du parc actuel, estimés à 118,2 milliards d'euros :
- 83,2 coût overnight
- 12,8 intérêts intercalaires
- 18,4 charges brutes de démantèlement des centrales de 2ème génération
- 3,8 charges brutes de derniers coeurs

Un recoupement est également possible avec les chiffres de la méthode C3P nucléaire, puisque la rémunération du capital investi, 3 576 ME peut être calculé en multipliant le sous-total du capital investi de 45 847 ME par le taux de rémunération du capital de 7,8 %.

Intuitivement, pour une durée de fonctionnement de 40 ans, on aurait pu simplement calculer une annuité de 118,2 MdE divisés par 40 (mais ce qui revient à un taux de rémunération du capital de 2,5 % seulement), soit 2,96 MdE. Au lieu des 7,9 MdE calculés par la Cour, qui tient déjà compte d'intérêts intercalaires de financement !

Mais pour revenir au problème posé, à savoir est-ce que la Cour des Comptes a tenu compte de la remarque de la CRE, on est maintenant en mesure de répondre par la négative.

Si la Cour avait (ce qu'elle n'a pas fait puisqu'elle tient compte des 22,2 MdE tout court d'après ce qui précède) actualisé les 22,2 MdE de démantèlement et de derniers coeurs à 3 %, sachant que le barycentre des dépenses (démantèlement seulement) est situé par la Cour à 8 ans après l'arrêt (page 93) et que le parc a un âge moyen de 25 ans en 2010 (page 273), les 22,2 MdE seraient devenus :
22,2 / (1,03^[15+8]) = 11,25 MdE.
Soit une baisse de 10,95 MdE des coûts de démantèlement et derniers coeurs (par simplification), ce qui entraîne une diminution du loyer économique de 7,8 % x 10,95 = - 0,85 MdE, qui rapportée à la production 2010 de 407,9 TWh, donne - 2,1 €/MWh.

Ce qui est inférieur aux deux chiffres de la CRE, une baisse du loyer économique de 1,4 MdE2010, soit 3,3 €/MWh 2010 pour le coût de production CCE.

Bien que ne parvenant pas à recouper parfaitement avec les calculs de la CRE, il semble bien que la Cour des Comptes n'ait pas pris en considération la remarque de la CRE !

Autre anomalie relevée par la Cour, le loyer économique dans la méthode CCE ne serait que peu modifié pour un prolongement de la durée de vie des réacteurs de 40 ans (9,1 MdE) à 50 ans (8,9 MdE) !

III Pourquoi la Cour des Comptes n'évoque pas les travaux réalisés en 2000 d'évaluation économique de la filière nucléaire

Il est vraiment étonnant que la Cour des Comptes n'ait même pas évoqué les travaux d'évaluation économique de la filière nucléaire réalisés en 2000.

Rapport 2000 Girard Marignac Tassart Le parc nucléaire actuel mission d'évaluation économique de la filière nucléaire
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics//014000107/0000.pdf

N'ayant pas la réponse, InvestigationFin se propose de comparer les deux démarches.

Le bilan économique s'est traduit, pour les six scénarios envisagés, à un coût moyen du kWh entre 14,27 et 15,28 centimes de francs du kWh aux conditions économiques de 1999.

Ce qui, traduits en euros par MWh de 2010, donne un intervalle entre 26,5 et 28,4 €/MWh de 2010.

Les deux scénarii qui se rapprochent le plus du rapport 2012 de la Cour des Comptes sont S2 (15,20 ctF/kWh99 soit 28,2 €/MWh2010) et S3 (15,28 ctF/kWh99 soit 28,4 €/MWh2010) : durée de vie moyenne de 41 ans et une poursuite du retraitement-recyclage

Quelles différences entre le rapport 2000 GMT et le rapport 2012 CC ?

- le dénominateur, la production électrique est une production électrique cumulée (réelle pour le passé et estimée pour le futur) dans le rapport 2000 GMT et la production réelle 2010 dans le rapport 2012 CC.
On a là une différence fondamentale entre les deux démarches, puisque celle de 2000 tente un bilan historique passé présent futur de ce que coûte la filière nucléaire là où la Cour des Comptes raisonne sur ce que cela coût en 2010 en tenant compte d'un loyer économique représentant les investissements passés et certaines dépenses futures.

- au numérateur, le rapport 2000 GMT tient compte de 100 GF99 de dépenses de R&D, ce que ne fait pas le rapport CC 2012 dans son calcul CCE ;

- au numérateur, le rapport CC 2012 tient compte d'intérêts intercalaires (12,8 MdE) là où le rapport 2000 GMT n'en tient pas compte ;

- au numérateur, le rapport 2000 GMT estimé 112 GF99 de démantèlement décalé, soit 20,8 MdE 2010, à comparer avec le chiffre du rapport CC 2012 de 22,2 MdE, assez proche.

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R
Il va alors pour éclairer le chemin décrire ce que sont les intérêts intercalaires et pourquoi des différences si importantes peuvent alors apparaître entre GMT 2000 et CC 2012.
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