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Investigation Financière Economique et Boursière
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5 février 2009

Le recours aux swaps pour diminuer la charge de la dette de l'Etat. Un gain ou bien une perte ?

Introduction

En hors-bilan des comptes de l'Etat, dans la rubrique "Information sur la valeur de marché des instruments financiers à terme", figure une ligne "Contrats d'échange de taux d'intérêt" pour un montant nominal de 41,6 milliards d'euros fin 2007 (1) et une valeur de marché de 0,5 milliards d'euros.

Fin 2006, le montant nominal s'élève à 44,4 milliards d'euros pour une valeur de marché de 1,0 milliard d'euros.

Une courte note accompagne ce chiffe : "Linformation sur la valeur de marché des contrats de swaps couverture spécifique doit être mise en regard de celle qui figure dans lannexe sur la dette négociable. Ces évaluations sont des données indicatives et ne correspondent en aucune manière à une perte ou à un gain réalisé."

Il semble utile de le préciser, car en première lecture, lorsque pour 41,6 milliards d'euros de nominal la valeur de marché s'élève seulement à 1 milliard d'euros, on peut se demander s'il n'y aurait pas une perte de plusieurs dizaines de milliards d'euros liée à l'utilisation d'options.

La dette négociable de l'Etat représente fin 2007 947,5 milliards d'euros.

De plus, si la note suggère de comparer l'ordre de grandeur du nominal des contrats d'échange de taux d'intérêt (dizaines de milliards d'euros) à celle de la dette négociable (centaines de milliards d'euros), ne serait-ce pas pour minimiser le montant du nominal annoncé ? Pourquoi ?

Alors, de quoi s'agit-il ? Perte ou pas perte ?

Présentation de la gestion de la durée de vie moyenne de la dette par l'AFT

Dans une autre partie du rapport qui présente la ventilation temporelle des encours hors bilan sur instruments financiers à terme, le nominal annoncé correspond "au montant nominal des contrats déchange de taux dintérêts négociés dans le cadre de la gestion de la durée de vie de la dette de lÉtat ... Ils sont constitués du montant des swaps payeurs et receveurs de taux fixe contre EURIBOR".

L'Agence France Trésor (AFT) qui a été créée en 2001 après une décision de Laurent Fabius, gère la durée de vie moyenne de la dette.

Le site de l'AFT explique sur son site (3) le recours à des contrats d'échange de taux d'intérêt comme l'un des moyens de gestion active de la dette de l'Etat.

Dans une situation normale, les taux longs étant supérieurs aux taux courts, diminuer la durée de vie moyenne de la dette en recourant à des contrats d'échange devrait permettre de diminuer la charge de la dette. En contrepartie, cette dernière est soumise à plus de variabilité, dans la mesure où la nécessité de renouveler des emprunts à court terme accroît l'incertitude sur le niveau des taux d'intérêt qui vont être servis à court terme.

La mise en oeuvre technique est la suivante :

"Compte tenu des offres du marché, qui ne portent pas directement sur des échanges de taux fixes, mais se sont développées sur des échanges entre taux fixes et taux variables, ceci exige la réalisation de deux opérations liées : par la première, lEtat reçoit un taux fixe associé à des maturités longues et paye un taux variable (court terme) ; symétriquement, par la seconde, il reçoit le taux variable infra-annuel et paie le taux fixe associé à des maturités intermédiaires, cela afin de réduire la volatilité de la charge de la dette induite par la première. ".

Les conditions générales du marché des taux en 2002 ont incité l'AFT à suspendre provisoirement le programme. aucune opération de swaps n'a été conclue depuis juillet 2002. Toutefois, les swaps courts conclus en 2001 et 2002 ont été renouvelés en 2005, l'encours du portefeuille se maintenant à 61,2 milliards d'euros, dans le but de ne pas être exposé à des taux de moins d'un an.

Il en est de même en 2006 et 2007, l'encours ayant néanmoins diminué.

Un rapport (5) disponible sur le site de l'AFT permet d'en savoir un peu plus sur ces swaps.

Il y a eu deux catégories de swaps mis en oeuvre :

1) des swaps de type longs : swaps receveur 10 ans associés à des swaps payeurs Euribor 6 mois

2) des swaps de type courts : swaps receveurs Euribor 6 mois associés à des swaps payeurs 2 ans

Les montants nominaux étant identiques, les coupons Euribor 6 mois s'annulent et l'AFT est receveur de coupons 10 ans et payeur de coupons 2 ans.

Durée de vie moyenne de la dette avant et après swaps

Le tableau suivant fournit la durée de vie moyenne de la dette négociable de l'Etat avant et après swaps de fin 2001 à fin 2008 :

Avant swaps

Après swaps

31 12 2001

6 ans et 47 jours

5 ans et 358 jours

31 12 2002

5 ans et 343 jours

5 ans et 266 jours

31 12 2003

5 ans et 297 jours

5 ans et 235 jours

31 12 2004

6 ans et 79 jours

6 ans et 33 jours

31 12 2005

6 ans et 267 jours

6 ans et 228 jours

31 12 2006

7 ans et 45 jours

7 ans et 16 jours

31 12 2007

7 ans et 51 jours

7 ans et 29 jours

31 12 2008

6 ans et 292 jours

6 ans et 276 jours

Source : AFT

On observe que l'écart de la durée moyenne avant ou après swaps diminue d'année en année, l'encours de swaps diminuant également, pour atteindre 28 milliards d'euros fin 2008, pour un plus haut de fin 2002 à fin 2004 de 61 milliards d'euros.

L'encours de swaps n'est-il bien composé que de swaps courts ?

Pourtant, cette description ne semble pas suffisamment précise. En effet, le classement par durée de vie résiduelle (moins de 7 ans ou plus de 7 ans) de tels swaps fin 2006 (2) et fin 2007 (1) montre une durée résiduelle de plus de 7 ans fin 2006 pour 3,4 milliards d'euros et fin 2007 pour 2,9 milliards d'euros. Il n'y aurait donc pas que des swaps courts !

Question sur la cohérence entre la stratégie actuelle de non-exposition à des taux de moins d'un an et le niveau d'encours de swaps

Si le but consiste à ne pas être exposé à des taux de moins d'un an depuis 2005, dixit l'AFT, et si seuls les swaps courts sont renouvelés, alors la stratégie suivie consiste à échanger des taux Euribor 6 mois (très court terme) contre des taux 2 ans.

Quels sont alors les taux de moins d'un an composant le portefeuille de la dette négociable de l'Etat susceptibles d'être concernés par de tels swaps ?

S'agit-il de se couvrir contre les taux des emprunts d'Etat à échéance moins d'un an de la dette négociable de l'Etat ?

Ce n'est pas bien clair.

D'après les comptes 2007, la partie "échéances des dettes financières" montre un total de 176 milliards d'euros à moins d'un an, dont :

- 39,3 milliards d'euros d'OAT à taux fixe ;

- 58,3 milliards d'euros de Bons du Trésor à taux fixes et intérêts annuels (BTAN) ;

- 78,5 milliards d'euros de Bons du Trésor à taux fixe (BTF).

D'après les comptes 2006, cette décomposition est la suivante, pour un total de 135 milliards d'euros à moins d'un an :

- 31,9 milliards d'euros d'OAT à taux fixe ;

- 37,2 milliards d'euros de Bons du Trésor à taux fixes et intérêts annuels (BTAN) ;

- 66,2 milliards d'euros de Bons du Trésor à taux fixe (BTF).

Etude de la pertinence des bénéfices annoncés du recours aux swaps

Le recours à des contrats d'échange de taux d'intérêt produirait d'année en année une charge nette de signe négatif (4) (ce qui correspondrait à une recette) de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros, avec un plus bas fin 2002 de 155 millions d'euros et un plus haut fin 2006 de 558 millions d'euros. Le produit fin 2007 s'élèverait à 273 millions d'euros.

D'après les simulations de l'étude (5), la diminution de la durée de vie de la dette d'une année via des contrats d'échange de taux réduirait la charge d'intérêt annuelle de 1 milliard d'euros sur les 10 premiers années.

Pourtant, lorsque l'on observe les diminutions annuelles de durée de vie de la dette, inférieures à 2 mois (22 jours fin 2007 et 62 jours fin 2003 par exemple), les bénéfices du recours au swaps dans les comptes seraient tout de même de plusieurs centaines de millions (-272 millions d'euros fin 2007 et -236 millions d'euros fin 2008).

Soit les simulations sur le bien-fondé du recours aux swaps pour diminuer la durée moyenne de la dette sont trop optimistes, soit les bénéfices réellement constatés mériteraient une analyse plus détaillée qui manque.

Ainsi, comment 42 milliards d'euros de swaps peuvent-ils aboutir à un gain de 273 millions d'euros en 2007 ?

La diminution de la durée de vie moyenne était de 29 jours fin 2006 et 22 jours fin 2007. L'encours de swaps s'élevait à 44,4 milliards d'euros fin 2006 et 41,6 milliards d'euros fin 2007.

Pour simuler un gain il convient d'estimer le différentiel entre les taux 2 ans et les taux 10 ans, dans le cas où on utilise les swaps courts et les swaps longs. Néanmoins, seuls les swaps de type courts auraient été renouvelés !

La liste des adjudications de l'Etat (source AFT) permet d'estimer que le taux des OAT 10 ans est passé de 3,75 % à 4,25 %, retenons 4 %.

D'après la Banque de France, la moyenne des mensuelle des BTAN en 2007 a évolué entre un plus bas de 3,8987 % (novembre) et un plus haut de 4,4773 % (juin). De janvier à septembre 2007 pour le taux Euribor 6 mois (6), le plus bas est de 3,888 % (janvier) et le plus haut de 4,75 % (septembre).

Je ne m'explique pas alors comment échanger un taux 10 ans et un taux 2 ans permet un bénéfice, ni d'ailleurs uniquement avec le swap court, différence entre le taux Euribor 6 mois et le BTAN 2 ans.

A tout le moins peut-on estimer quel est le différentiel de taux dt qui permet d'obtenir 273 millions d'euros de bénéfice à partir d'une moyenne arithmétique des encours de swaps entre fin 2006 et fin 2007.

Théoriquement,

dt x [0,5x(41,6 + 44,4)]=0,273, d'où dt =0,63 %. C'est beaucoup par rapport aux écarts observés entre les taux d'OAT 10 ans, les BTAN 2 ans et l'Euribor 6 mois.

Application de la même méthode pour 2005 :

taux des OAT 10 ans de 3 et 3,5 %

moyenne mensuelle des BTAN 2 ans de 2,096 % (juin) à 2,8048 % (décembre)

moyenne mensuelle des taux Euribor 6 mois de 2,1075 % (juin) à 2,4735 % (décembre)

encours de swaps fin 2004 de 61 milliards d'euros et fin 2005 de 52 milliards d'euros

diminution de la durée de vie moyenne de 46 jours fin 2004 et de 39 jours fin 2005

bénéfice dans les comptes de l'Etat de 479 millions d'euros

Théoriquement,

dt x [0,5x(61 + 52)]=0,479, d'où dt =0,85 %. Ce qui est plutôt cohérent avec l'écart observé entre les taux de BTAN 2 ans et ceux des OAT 10 ans, mais pas vraiment entre le taux Euribor 6 mois et le BTAN 2 ans.

Ce n'est donc pas très clair.

Enfin, pourquoi la valeur de marché des swaps est-elle si faible ? Est-ce une perte ?

Une tel écart entre le nominal de swaps (41,6 milliards d'euros fin 2007) et la valeur de marché affichée (533 millions d'euros fin 2007) ne semble pas si incongru que cela, puisque dans les comptes de la Société Générale par exemple, les swaps de taux d'intérêt s'élèvent à 6 533,5 milliards d'euros (j'ai relu plusieurs fois l'ordre de grandeur est bien en milliers de milliards !) et la juste valeur des opérations qualifiées de couverture tels que swaps de taux d'intérêt à 264 millions d'euros.

Dans un article traitant des swaps de taux d'intérêt et de la norme IAS 39 (9), la juste valeur d'un swap contracté est définie comme étant la différence actualisée entre les encaissements prévisionnels effectifs liés aux intérêts variables à recevoir et les décaissements correspondant aux intérêts fixes prévisionnels de la partie fixe du swap.

La norme IAS 39 impose la comptabilisation de variation de valeur en résultat, sauf traitement dérogatoire autorisé par la norme permettant d'enregistrer la variation en capitaux propres.

D'après une étude de la Banque de France (8), il s'agirait plutôt d'un choix à effectuer par la banque :

- soit de désigner l'actif comme instrument couvert (traitement comptable par le résultat de la couverture de juste valeur) ;

- soit de désigner le passif comme l'instrument couvert (traitement comptable par les capitaux propres de la couverture de flux de trésorerie futurs.

Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il semble que l'affichage d'une valeur de marché positive de 533 millions d'euros indique que la couverture adoptée est estimée gagnante par rapport aux flux futurs. L'évolution négative de fin 2006 (1 042 millions d'euros) à fin 2007 (533 millions d'euros) traduirait donc une évolution défavorable du caractère gagnant de la stratégie adoptée.

Que s'est-il passé en 2007 ? Les moyennes mensuelles de l'Euribor 6 mois semblent avoir plus augmenté entre 2006 et 2007 que les moyennes mensuelles des BTAN 2 ans.

Comme les swaps mis en oeuvre sont, selon l'AFT, de type swaps de type courts (swaps receveurs Euribor 6 mois associés à des swaps payeurs 2 ans), on devrait s'attendre à ce que les flux encaissés soient relativement plus importants pour l'Euribor 6 mois que pour le BTAN 2 ans.

Ce n'est pas logique.

Conclusion

Cet article s'est intéressé aux contrats d'échange de taux (swaps) auxquels ont recours l'AFT pour une gestion active de la dette négociable de l'Etat.

Des questions ont été soulevées :

- sur l'estimation par l'Etat du niveau de gain par rapport à la réduction de la durée de vie moyenne de la dette et ce qui est réellement constaté ;

- sur le recoupement des bénéfices annoncés avec la stratégie de swaps mise en place et les taux constatés ;

- sur l'évolution défavorable de la juste valeur des swaps entre fin 2006 et fin 2007 en fonction de l'évolution des taux.

Merci à vous @lecteur de contribuer à cet article par vos remarques, suggestions, corrections, critiques.

Source :

(1) Compte général de l'Etat 2007 (mai 2008)

(2) Compte général de l'Etat 2006

(3) http://www.aft.gouv.fr/aft_fr_23/dette_etat_24/gestion_active_103/contrat_echange_taux_interet_105/index.html Contrat d'échange de taux d'intérêt

(4) fichier xls charge de la dette négociable en comptabilité budgétaire

(5) Rapport Quels sont les enjeux en termes de coût et de risque, de la gestion active de la durée de vie moyenne de la dette ? DGTPE Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique Novembre 2007

(6) Taux des prêts 2 ans et 5 ans de 2005 à 2009 source Banque de France

(7) Historique des taux Euribor source Banque de France

(8) Quelles sont les incidences prudentielles des nouvelles normes comptables internationales ? source Banque de France

(9) Swaps de taux d'intérêt et norme IAS 39 : les difficultés de mise en oeuvre des tests d'efficacité, par Xavier Paper, Paper Audit & Conseil La lettre du trésorier N°249 Juillet Août 2008

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